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LES MISSIONNAIRES DE LA MUSIQUE

REPORTAGE – Musiciens classiques, ils vont de ville en ville pour faire découvrir l’orchestre et la musique « savante » aux jeunes élèves nourris au R&B et au rap.

Une boite à violon ou des partitions sous le bras, quelques cd dans les poches: de drôles de missionnaires pénètrent toute l’année dans les écoles, les collèges et les lycées. Qu’ils soient musiciens d’orchestre ou membres de petits ensembles, ils sillonnent la carte scolaire pour prêcher la bonne parole: leur passion pour la musique. Ces missions pédagogiques viennent relayer l’éducation nationale qui enseigne la musique une heure par semaine au collège puis en option facultative au lycée. Vocabulaire, histoire des styles, grands compositeurs : ils ont les bases. Mais comment amener des têtes nourries de jeux vidéo, de télévision, et d’Internet à apprécier Mozart et Debussy, l’opéra et la musique contemporaine ?

Après avoir incarné la musique classique à la télévision, Eve Ruggieri est partie en campagne dans les établissements scolaires. Elle montre aux collégiens que les compositeurs et les musiciens sont «des gens comme eux», explique-t-elle. «Je leur parle de Mozart à leur âge, qui s’éveillait à la sexualité et qui parlait un genre de verlan (signant ses lettres Trazom au lieu de Mozart). Je leur fais écouter un air d’opéra et leur explique pourquoi les cantatrices sont comme des sportifs de haut niveau. Si personne ne fait ce travail, qui ira dans les salles d’opéra dans trente ans ?» Faire entrer des jeunes dans les auditoriums et les opéras est l’un des enjeux de ces missions pour lesquels s’impliquent les orchestres comme les institutions lyriques. Avec pertinence, si l’on en juge par le succès de «tous à l’opéras», un week-end de portes ouvertes organisé par la Réunion des Opéras de France (ROF) et les opéras d’Europe.

Rachel Rowntree, violoniste dans l’orchestre Les Siècles, participe aux missions éducatives organisées par la Cité de la Musique en région parisienne. Elle intervient pendant trois heures devant des collégiens qui viendront plus tard écouter un concert à Paris. «Nous leur apprenons ensuite une partition à base de percussions corporelles, raconte Rachel, une pièce de notre invention qui s’adaptera avec l’une des œuvres du concert, de Bizet ou Tchaïkovski par exemple. Certains n’ont jamais vu un orchestre de leur vie: c’est une mission passionnante!» Même démarche à Bordeaux où les musiciens «parrains» d’une classe ont pour mission de répondre aux questions des jeunes pendant l’entracte de concerts de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine.

Les «retombées» sont évidentes pour les responsables d’établissements. «La grande difficulté qu’éprouvent ces jeunes dans leur cours est d’être à l’écoute des consignes, du professeur et des autres, explique Laurent Wajnberg, principal adjoint du collège Varèse à Paris (19e), en partenariat depuis cinq ans avec l’ensemble baroque Les Talens lyriques. En une demi-heure d’atelier musique, ils apprennent à s’écouter pour démarrer ensemble. La qualité de leur attention, du silence, est frappante.»

Daniel Kawka est le directeur musical de l’Ensemble Orchestral Contemporain (EOC) qui mène des actions dans le département de la Loire. Contre toute attente, il ne trouve pas difficile de captiver les jeunes à la musique d’aujourd’hui. «D’abord parce que nous nous appuyons sur la créativité des élèves. Pendant les ateliers, ils créent de la musique avec un compositeur qui vient les voir, à l’aide de machines de mixages ou d’un ordinateur pour les musiques électroniques. Ils vont entendre «leur» musique jouée par un grand orchestre. C’est seulement plus tard qu’il assisteront à un concert, avec un programme qui fera écho aux ateliers : musiques du compositeur animateur, pièces récentes proches du travail réalisé.»

C’est de la techno, m’sieur!
Les musiciens de l’EOC ont trente ans. Nourris aux radios libres, au rock au reggae, il leur est plus facile de trouver comment parler de musique contemporaine à ces jeunes nourris au R&B, au rap, à la techno. «Ce qui est merveilleux avec cette génération, analyse Daniel Kawka, c’est l’absence d’étanchéité entre leur univers sonore et la musique savante d’aujourd’hui. S’ils sont moins sensibles à l’aspect mélodique, à l’opéra, ils sont très réceptifs à l’intensité sonore, la pulsation rythmique. Dans la distorsion du son utilisée en électroacoustique, ils reconnaissent le jeu de Jimi Hendrix avec sa guitare!» Le passage de Hendrix à Ravel ou à la puissance du grand orchestre de Wagner se fait dans la foulée. «J’ai fait écouter du Pierre Boulez à plusieurs classes réunies, poursuit Kawka. Un jeune, la casquette vissée sur la tête, m’a lancé: «mais, c’est de la techno, ca, m’sieur!» Ils ne perçoivent pas par l’esprit mais par le ventre. Comme dans la musique sur laquelle ils dansent, la musique contemporaine se ressent physiquement.» Au concert, les jeunes sifflent les musiciens de l’EOC comme à un concert de Rock. Leurs goûts ont de quoi surprendre ceux que la musique contemporaine effraie ou ennuie: ils aiment l’aspect répétitif de Ligeti, l’enchevêtrement des lignes mélodiques de jeunes compositeurs comme Philippe Leroux, et le mélange de musiques et vidéos de Pierre Jodlowski. «Avec Steve Reich, c’est gagné!» s’amuse Daniel Kawka.

Outre l’expérience du concert, les ateliers sont pour beaucoup de jeunes l’occasion d’entrer en contact avec un univers professionnel qui les intrigue. A la fin des ateliers, les questions fusent: «Combien gagne un chef d’orchestre? Faut-il beaucoup travailler pour un concert? Voyagez-vous souvent?» «En France, beaucoup plus qu’en Allemagne ou en Russie où la musique est plus quotidienne, explique Daniel Kawka, il y a parfois une dissociation entre l’imaginaire de l’enfant et la pratique de l’art. La rencontre avec l’artiste peut-être décisive dans l’envie d’un élève de pratiquer un instrument ou de partir à la découverte de nouvelles musiques. Il prend conscience du rapport naturel à l’art, au beau. Quelle est la place de l’artiste dans cette cité s’il ne fait pas ce travail?»

Photos©Blandine Berthelot pour les Talens lyriques, EOC, Opéra National de Bordeaux,

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