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Les sœurs Labèque, les plus rock des classiques

INTERVIEW – Les pianistes Katia et Marielle Labèque publie chez Deutsche Grammophon la bande-son de leur spectacle « Love Stories », toujours en tournée, notamment au Festival les Beaux-Jours de Biarritz. Les deux sœurs associent la musique de « West Side Story » de Leonard Bernstein à « Star-Cross’d lovers », une nouvelle composition inspirée de « Roméo et Juliette ». Elle est signée du guitariste de rock David Chalmin et illustrée par une chorégraphie de Yaman Okur, danseur hip hop travaillant pour Madonna. Un spectacle époustouflant qui fait tomber les barrières du classique. Rencontre avec Katia Labèque, la plus rock du duo.
Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez vu « West Side Story » ?
K.L. : La chemise violette (rires) ! Je me souviens de tout. J’avais un faible pour le personnage d’Anita. Quand elle chante « A boy like that » c’est juste génial. Marielle et moi l’avons vu à Paris pendant nos études au Conservatoire. On l’a revu trente fois depuis. Quand l’idée de retravailler sur cette œuvre a émergé, on s’est fait une soirée chez nous à Rome avec Marielle et David (Chalmin, également compagnon de Katia).
Vous avez rencontré le succès en 1980 avec la musique de George Gershwin. Dans l’excellent livre d’entretien avec Renaud Machart (1) paru récemment, vous dites qu’aller vers Bernstein était naturel… Vraiment ?
C’est vrai. Nous éprouvions une fascination pour Leonard Bernstein, comme chef d’orchestre et comme compositeur. C’était un tel personnage, un animal musical hors du commun. Nous avons contacté son bureau en 1987 pour réaliser une version de « West Side Story » pour deux pianos et percussions. Bernstein nous a beaucoup aidées. Aujourd’hui, faire ce serait plus possible. Les ayants-droit nous l’interdiraient. Il a lui-même appelé Irwin Kostal qui était, avec Sid Ramin, l’auteur de l’orchestration originale de West Side Story. Bernstein a demandé à Kostal de réaliser les arrangements.
L’orchestration de West Side Story n’est pas de Bernstein ?
Oui et non. Leonard Bernstein était un jeune compositeur très érudit mais il évoluait dans un monde très classique, et les producteurs de Broadway voulaient des orchestrateurs de Broadway. Bernstein a dit plus tard qu’il avait énormément appris de ce travail avec Sid Ramin et Irvin Kostal. C’est ce dernier qui a eu l’idée d’ajouter deux percussions dans la version pour deux pianos.
Idée que vous avez reprise… et modifiée !
Oui. Nous avons changé le type de percussions qui, à l’époque, étaient plutôt de style indien. Nous travaillons avec Gonzalo Grau, un percussionniste vénézuélien, qui accentue le côté « Sharks » (la bande latino de West Side Story) et le côté « Jets » par un batteur rock, Raphaël Séguinier (2). Ce n’est pas trahir la pétition car Irvin a laissé beaucoup de liberté, notamment dans le fameux « Mambo ».
Pourquoi avoir choisi de commander une autre œuvre, « Star-Cross’d lovers » ?
D’abord car nous n’avons pas eu le droit d’utiliser la chorégraphie originale de Jerome Robbins… Mais au final je trouve que c’est beaucoup mieux comme cela. La partition de Bernstein date d’une époque qui n’irait pas avec des breakdancers. L’histoire, oui : quand les deux bandes rivales s’affrontent lors du bal, cela devient une battle hip hop. Tout est transposé ! La chorégraphie de « Star-Cross’Lovers » se rapproche plus du film « Romeo + Juliette » avec Leonardo Di Caprio.
C’est votre compagnon David Chalmin qui a composé la musique. L’avez-vous aidé ?
Un peu car nous apportons toujours aux compositeurs des choses comme un phrasé différent, une articulation. David est à la guitare et change aussi des choses chaque soir ! Depuis la création à Postdam, le spectacle n’a jamais été le même.
Avez-vous été surprise du succès de « Love Stories » ?
Oui ! Surtout que beaucoup de programmateurs n’en voulaient pas au début… à cause des breakdancers. On nous disait : « Si vous le faites avec une danseuse classique, ok ». Marielle et moi sommes en fond de scène, pour soutenir un projet, et non sur le devant comme des virtuoses classiques. Cela a beaucoup surpris. Nous avons heureusement trouvé un producteur qui a compris… C’est le producteur de Johnny Hallyday !
Vous en avez marre du classique ?
Non ! Le classique restera toujours notre base. Ce genre de spectacle est une façon de nous renouveler, d’apprendre, et d’être au contact de la musique des jeunes. Etre en tournée avec des danseurs de vingt ans est une émulation, réciproque d’ailleurs. Et puis « West Side Story » est devenu un classique (rires). En tout cas pour nous !
Mais de là à ajouter de la guitare électrique…
J’ai toujours adoré cet instrument, c’est mon préféré. Dans les années 1980 j’étais dans un groupe rock. Récemment nous avons commandé au compositeur Bryce Dessner une œuvre pour deux pianos et deux guitares. Le frère de Bryce, Aaron, est membre de The National. Ce sont des grands noms du rock américain. J’adore la multiplication des guitares. Vous avez écouté le dernier album de Radiohead ? J’adore ! C’est leur meilleur.
Le piano peut-il suivre ?
Le piano a un côté tout-terrain, à la fois un instrument percussif et un orchestre à lui tout seul. Sans compter le piano préparé de John Cage (tirant vers des sonorités métalliques, ndlr). Je peux m’intéresser aux pianos anciens comme aux synthétiseurs Moog. Cela pousse aussi le piano au-delà de ses limites. On cherche ça depuis les années 1980, avec des tentatives plus ou moins réussies : j’ai réécouté notre premier disque avec de l’électro, « Love of colours » (1990), et c’est hyper kitsch (rires).
Vous avez beaucoup soutenu Shannon Wright dans sa carrière. Pourquoi ?
Je l’ai écoutée en Suisse il y a un an ou un an et demi. J’étais sidérée… Et elle était désespérée. Elle affrontait beaucoup de difficultés financières pour réaliser sa musique. Elle voulait arrêter. J’étais fâchée. Nous avons décidé de lui prêter notre studio de Rome, avec David comme ingénieur du son et les Steinway D (grands pianos de concerts, la Rolls des pianistes classiques, ndlr). Elle a adoré le piano. Au début elle n’osait pas mais j’adore sa façon de jouer du piano. Elle a beaucoup écrit, puis est repartie en tournée. Résultat : des passages sur Canal +, des super papiers dans la presse. Je voudrais l’aider encore.
Qu’est-ce qui vous touche chez elle ?
Elle est extraordinaire. De la trempe d’une Patti Smith, bien meilleure que P. J. Harvey. Au niveau de l’émotion, je la comparerais à Janis Joplin. Je suis très fière de l’avoir aidée. C’est pour cela aussi que Marielle et moi avons créé une fondation.
1) « Katia et Marielle Labèque, une vie à quatre mains », entretien avec Renaud Machart. Editions Buchet Chastel. 250 pages. 19 euros.

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