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Ivan Ilić, un pianiste de la génération Y

PORTRAIT – Ivan Ilić est un intellectuel, un vulgarisateur, un esprit curieux, un boursicoteur, un insatisfait. C’est avant tout un grand pianiste. C’est pourquoi nous l’avons rencontré.

La génération Y, succédant à la génération X, désigne les personnes nées entre 1978 et 1994 (ou l’an 2000, selon les sources). Elle est censée représenter un ensemble ayant des caractéristiques comportementales propres, comme la maîtrise de l’interface numérique ou l’attrait vers l’écologie.

Eternel insatisfait

Si les travaux scientifiques n’ont pas permis de démontrer la validité sociologique de cet ensemble, de nombreux témoignages de chefs d’entreprise et de professeurs de grandes écoles font état d’un comportement fondamentalement différent par rapport aux générations précédentes, notamment pour les plus diplômés d’entre eux. Revient souvent dans leurs bouches et dans un soupir non-feint l’expression «éternels insatisfaits». Insatisfaits comme ces cadres supérieurs brillants et performants qui changent d’employeurs comme de préservatifs et qui rêvent secrètement de quitter la capitale pour ouvrir une ferme éco-responsable.

Ivan Ilić est un pianiste américain d’origine serbe né en 1978. Il étudie à Berkeley, la prestigieuse université californienne, les mathématiques théoriques, le piano, la direction d’orchestre et l’improvisation. Mais, de son propre aveu, son intérêt se portait autant sur les sciences politiques, la philosophie, l’anthropologie et même, plus récemment, la finance et la bourse. Bref, un intellectuel.

« Je donne des concerts mais c’est chiant »

En 2001, il s’installe à Paris où il étudie au conservatoire national et à l’école normale. Suit un début de carrière assez classique avec notamment des enregistrements de Brahms, Beethoven, Chopin, Liszt, Schumann, Haydn, Beethoven puis enfin les 24 préludes de Debussy, publié chez Paraty, qui obtient un grand succès critique. Les concerts s’enchaînent. C’est alors que certains symptômes, propres aux éléments brillants de sa génération, apparaissent : Ivan Ilić ressent de façon violente une insatisfaction professionnelle.

A 30 ans, il ne se voit pas continuer indéfiniment cette vie de pianiste (trop) classique. « Je fais du piano, je donne des concerts mais c’est chiant. Certes, on peut toujours redécouvrir le grand répertoire en concert, mais j’aspirais à plus ». Ivan Ilić est curieux et ne peut se satisfaire de la vie de pianiste jouant toujours les mêmes œuvres aux quatre coins du globe.

Il déménage alors à Bordeaux et entreprend des projets très personnels : l’enregistrement des 22 études d’après Chopin du compositeur polonais Leopold Godowsky, d’une difficulté considérable, puis des enregistrements de compositeurs américains difficiles d’accès – John Cage et Morton Feldman. Et enfin un grand projet autour du compositeur tchèque Antoine Reicha, contemporain peu connu de Beethoven, professeur de contrepoint de Liszt, dont il vient de dévoiler un second volume, paru chez Chandos.

La noblesse du projet

Un critère principal guide ses choix : la noblesse du projet. Pour Ivan Ilić, un projet est noble s’il apporte quelque chose à la masse des réalisations déjà entreprises. « Être celui qui joue le mieux, c’est subjectif. Soutenir des compositeurs contemporains qui galèrent ou enregistrer des musiques qui ne l’ont jamais été, je trouve cela intéressant. Et même si je suis au départ le seul, ce n’est pas grave. A moi de convaincre. »

Et convaincre, il sait faire, car Ivan Ilić est un vrai vulgarisateur. Il a appris cela de ses nombreuses collaborations avec des artistes non musiciens, pour lesquels il faut savoir rendre accessible une musique, un compositeur sans compromettre ce qu’elle/il est. « C’est un grand défi intellectuel. »

Mais alors, Ivan Ilić est-il un éternel insatisfait ? Difficile de se prononcer. D’une part, il trouve un accomplissement dans ses derniers projets, qui lui font apprendre beaucoup sur lui-même, sur ses capacités physiques – un pianiste est aussi un sportif – ou sur sa psychologie. En outre, il a trouvé un label, Chandos, avec lequel il se sent en osmose. D’autre part, il regrette le peu d’échange de fond avec ses collègues pianistes et ne sent pas parfaitement à l’aise dans l’écosystème des agents d’artistes français.

Si cette question reste sans réponse, on peut être certain d’une chose : Ivan Ilić est un pragmatique qui aime satisfaire le public. « C’est avec plaisir que je peux associer en concert la Pathétique (sonate de Beethoven, ndlr) et la découverte d’un talent ignoré comme celui de Reicha. » Si ce n’est pas déjà fait, il vous reste donc à le découvrir, ce sera certainement une satisfaction mutuelle.


AU DISQUE…

Pour comprendre le contrepoint, rien de mieux que l’écoute d’une fugue et, presque irrémédiablement, le choix se portera sur du Bach. Avec ce deuxième volume consacré à Antoine Reicha, élève de Haydn et professeur de Berlioz, Liszt et Franck, Ivan Ilić ouvre le champs des possibles. Cet enregistrement propose des « Études dans le genre fugué » qui dépassent de loin leur fonction première, pédagogique. Car si le propos peut sembler intellectuel au premier abord, la retenue et la finesse du jeu du pianiste met en lumière une large palette de sentiments, lesquels aboutiront, presque irrémédiablement, vers une douce mélancolie. Si l’on espère que cet enregistrement inspirera d’autres pianistes, c’est principalement pour souhaite un rayonnement plus important de ce compositeur car, parfois, la première interprétation est la bonne.

Reicha rediscovered, volume 2, Ivan Ilić, Chandos, 2018.

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