AccueilCompositeurs.tricesHoward Shore : "Il faut toujours partir du crayon et du papier"

Howard Shore : « Il faut toujours partir du crayon et du papier »

INTERVIEW – Il a composé Le Seigneur des anneaux, La Mouche, Le Hobbit, Spotlight… Compositeur prolifique et incontournable, Howard Shore a marqué de son empreinte le cinéma de ces quarante dernières années. Rencontre avec l’un des plus grands compositeurs actuel, qui n’a jamais lâché son cahier à musique et son crayon.

Le nom d’Howard Shore résonne dans l’esprit de tout cinéphile, comme celui du compositeur de la musique du succès planétaire Le Seigneur des anneaux. Mais la richesse de son écriture et la diversité de ses choix musicaux font de lui un compositeur dont il est impossible de passer à côté : de La Mouche à Seven en passant par Le Silence des agneaux, Gangs of New York, Aviator ou encore la trilogie du Hobbit et le récent Spotlight, sa filmographie est déjà culte. Et que dire des réalisateurs avec lesquels il a travaillé ? David Cronenberg d’abord pour lequel il a écrit la musique de 15 de ses films. Martin Scorsese, Peter Jackson, David Fincher et, en France, Arnaud Desplechin. Mais, au-delà de cette biographie, c’est avant tout de musique à l’image, et de sa méthode de travail, dont nous avons voulu parler.

Ce qui frappe immédiatement lorsqu’on écoute votre musique, c’est la diversité. Comment vous est venu ce goût d’explorer des univers aussi variés ?

Howard Shore : Enfant, j’ai étudié la clarinette, puis les bases de l’écriture, à savoir le contrepoint et l’harmonie. Mon professeur était Morris Weinzweig, le frère du compositeur canadien John Weinzweig. Ce dernier m’a énormément appris sur les techniques de compositions et la base : commencer avec un simple crayon et une feuille de papier à musique. Tout est parti de là. J’ai toujours conservé ce goût pour l’écriture « à l’ancienne ». Cela m’a permis de développer ma technique en visualisant la musique mais aussi en l’écoutant. J’ai ensuite pu élargir mon style et de m’ouvrir à d’autres univers.

Vous dites que votre travail sur un film se fait avant tout avec le scénario. N’est-ce pas inhabituel de partir du texte et non des images ?

J’aime les mots, j’aime beaucoup lire. J’aime revenir à la source, à savoir le roman ou la pièce de théâtre qui a inspiré le scénario. Mon travail musical part de là. Avant les images, mes idées viennent des mots et de l’univers qui les entoure.

Vous avez aussi écrit un opéra sur La Mouche (1986), dont vous aviez aussi écrit la musique du film (mis en scène par David Cronenberg et créé en 2008 au Châtelet). Comment s’est déroulée cette expérience ?

Mon travail sur La Mouche était très différent de la musique du film de David Cronenberg. Bien qu’il s’agisse de la même histoire, la musique pour l’opéra cite seulement une ou deux minutes de la partition du film, au tout début. Tout le reste est une composition entièrement originale. Le texte d’origine se prêtait particulièrement bien à une adaptation en un grand opéra, car c’est une histoire riche et tragique. Pour écrire l’opéra, je suis reparti de l’histoire et non pas du travail que j’avais fait sur le film.

Vous avez écrit la musique de 15 films de David Cronenberg. Comment cette collaboration a-t-elle commencé ?

Quand j’étais adolescent, vers l’âge 15 ans, j’ai découvert ses premiers films dans un festival de cinéma « underground ». Un peu plus tard,  je l’ai approché et il m’a fait confiance pour écrire la musique de The Brood  (Chromosome 3, 1979). De film en film, David Cronenberg m’a laissé expérimenter des techniques différentes, des sonorités toujours nouvelles. On passe ainsi de la musique électronique (pour Scanners, 1981) jusqu’au grand orchestre symphonique (La Mouche)  en passant la musique de chambre (The Brood) ou encore des technologies numérique totalement nouvelles à l’époque comme le Synclavier (pour Vidéodrome, 1983), sans oublier le jazz, comme le Festin nu (1981) où j’ai écrit pour le célèbre saxophoniste Ornette Coleman, ou encore l’opéra, pour M. Butterfly (1993)

Votre musique pour Crash retranscrit parfaitement l’ambiance à la fois érotique et dérangeante du film. Comment est née cette idée ?

Je venais d’écrire des partitions plutôt symphoniques pour David Cronenberg comme M. Butterfly ou encore Dead Ringers (Faux-semblants, 1988). Lorsque Crash est arrivé, nous voulions changer radicalement d’approche. J’ai donc écrit pour un groupe de 14 musiciens : six guitares électriques, trois harpes, trois bois et deux percussions. Je l’ai pensé comme une vraie expérience électro-acoustique : les guitares sont enregistrées par groupe de deux, à droite, au centre et à gauche et chaque groupe est doublé par une harpe. 25% de la partition a été immédiatement mixé, échantillonné et ralenti puis ajouté à l’enregistrement. Cela a donc demandé beaucoup de manipulation en post-production mais n’a pas empêché cette partition de faire l’objet d’un ciné-concert à Rotterdam en mars dernier ! Cela marchait magnifiquement bien.

Que pensez-vous, justement, du ciné-concert ?

J’aime beaucoup ça. La musique d’un film est écrite pour des images. Le ciné-concert offre une belle plue value : avoir à la fois la force des musiciens en live ET les images pour lesquelles cette partition a été pensée. C’est une expérience unique et très forte.  

Que préférez-vous : un ciné-concert ou un concert de musique de film sans images ?

J’aime les deux formes. Si tout va bien, je viendrai en avril prochain faire un week-end de concerts en acoustique et sans images à Radio France… donc j’aime aussi qu’on écoute la musique pour elle-même. Ce sont deux formes qui se complètent bien.

Le monde entier vous connaît grâce à votre partition pour la trilogie du Seigneur des anneaux (2001), de Peter Jackson. Aviez-vous conscience à l’époque de la gestation du projet de l’importance de cette partition dans votre carrière et votre vie ?

Je savais que le roman de Tolkien était déjà très populaire et j’ai senti sur ce film une énorme responsabilité pour arriver à écrire quelque chose de vraiment fort, en y mettant beaucoup de passion. Je suis heureux que cela ait plu car cela a été un énorme travail, convoquant un chœur d’enfants, un chœur mixtes, un orchestre symphonique et au final 230 musiciens, et beaucoup de solistes.

Vous avez beaucoup travaillé avec le London Philharmonic Orchestra, notamment pour Le Seigneur des anneaux. Quelle est votre relation avec cet orchestre prestigieux ?

Ma relation avec le London Philharmonic Orchestra remonte à l’enregistrement de ma musique pour La Mouche. J’avais été  présenté à eux par un ami commun, Homer Denison. Entre 1986 et La Communauté de l’anneau en 2001, j’ai concentré la plupart de mes enregistrements avec cet orchestre. Les orchestrations du Seigneur des anneaux ont été pensées pour eux et l’acoustique particulière du Watford Town Hall, à côté de Londres.

« Il faut se rapprocher des metteurs en scène, des scénaristes qui vous correspondent, qui partagent votre univers. »

Au-delà de David Cronenberg et de Peter Jackson, vous entretenez une relation fidèle avec d’autres grands réalisateurs tels Martin Scorsese, David Fincher ou encore Barbet Schroeder. Avez-vous avec eux la même liberté d’écriture qu’avec les deux précédents ? 

Absolument. Travailler avec de tels réalisateurs sous-entend une collaboration au plus haut niveau d’exigence et mes idées musicales ont toujours été respectées et même appuyées par eux.

Quels sont vos conseils à un jeune compositeur qui souhaite se lancer dans la musique de film aujourd’hui ?

Il faut se rapprocher des metteurs en scène, des scénaristes qui vous correspondent, qui partagent votre univers. Et puis, je dis toujours qu’il faut apprendre et maitriser, d’abord et avant tout, la composition, l’orchestration, l’harmonie, la direction d’orchestre. Il faut aussi être au fait des nouvelles technologies qui sont utilisées pour faire de la musique et du cinéma, et qui sont aujourd’hui la norme dans la production d’un film.

Ne pensez-vous pas justement que ces nouvelles technologies peuvent « tuer »,  en quelque sorte, l’inspiration et le travail de composition en mettant trop facilement à disposition des programmes « clé en main » ?

Il faut toujours partir du crayon et du papier : cela permet d’exprimer ses idées de manière très libre, de visualiser la musique. Il y a ensuite les allers-retours avec le copiste, l’orchestration etc. Et après seulement, on peut aller vers la technologie et l’ordinateur. Donc, oui, j’utilise la technologie, mais je commence toujours par travailler sans.

Quels sont vos futurs projets pour le cinéma ?

Je viens d’écrire la bande originale deux longs-métrages : Pieces of a Woman de Kornel Mundruzco et Funny Boy de Deepa Mehta. Et je viens de finir l’écriture d’un concerto pour guitare, The Forest, pour Miloš Karadaglić, qui sortira chez Decca au printemps.

Remerciement : Alan Frey pour son aide

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