AccueilCompositeurs.tricesLe Soulier de satin à Garnier : éloge du temps long

Le Soulier de satin à Garnier : éloge du temps long

COMPTE-RENDU – Passer six heures à l’opéra pour rattraper les nombreuses heures de spectacles perdues depuis quinze mois peut paraître un peu fou. Et pourtant, le bien-être et la détente qui en résultent le justifient pleinement. Surtout quand il s’agit du Soulier de satin, de Paul Claudel au palais Garnier, mis en musique par Marc-André Dalbavie et en scène par Stanislas Nordey.

Le Soulier de satin, on le sait, c’est long : cette pièce de Paul Claudel dure onze heures et regorge d’indications scéniques. Autrement dit, elle se donne rarement. Pourquoi, alors, souhaiter la mettre en musique ? Il semblerait que Marc-André Dalbavie ait, en cela, suivi les conseils de Pierre Boulez. Là aussi, étonnement : LE pape de la tabula rasa (faire table rase du passé) en musique défendant la pièce d’un catholique conservateur en proie aux tourments de l’adultère ?

Un cycle musical plongeant l’auditeur dans une écoute comparable à celle d’un râga indien

Marc-André Dalbavie

Mais voilà. En 1987, Dalbavie assiste à la représentation – mythique – du Soulier de satin au Festival d’Avignon, dans une mise en scène d’Antoine Vitez. Pour le compositeur, l’œuvre lui apparaît « tel un cycle musical plongeant l’auditeur dans une écoute comparable à celle d’un râga indien. Il était évident que Claudel avait cherché à créer un flux qui dépassait la dimension de la parole ; un flux musical. Ce fut un véritable choc esthétique et artistique. »

Alors quand, en 2015, Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra de Paris, lui commande un opéra, son choix se porte sur cette pièce. La commande stipulait notamment que l’œuvre devait se baser sur un monument de la littérature française et être un acte théâtral, opératique et chorégraphique conçu avec simplicité. Rien que ça !

La force de suggestion de la musique spectrale

Six ans et une crise du Covid plus tard, l’opéra Le Soulier de satin voit le jour, et il honore la commande. On peut parler de théâtre chanté avec l’ampleur d’un opéra. Le langage musical suit les vagues générées par la richesse auditive du texte de Claudel. Rien n’est mélodique. Tout est scansion naturelle, avec des colorations/irisations d’un instrumentarium riche en vibrations (cymbalum, gongs, sonnailles, bols chinois…). La musique et le chant viennent servir le texte, l’envelopper comme une soie sur-mesure. L’occasion de rappeler ici que la maîtrise de l’écriture spectrale, à l’intérieur de toutes les composantes du son, telle que celle de Marc-André Dalbavie, permet d’user d’outils infinis d’une grande force de suggestion.

Quant à la mise en scène, elle est tout simplement irréprochable. Sobre mais pas froide, parfaitement huilée dans les changements de décors. Inventive et pourtant familière, elle vient cimenter la beauté du livret et sa mise en musique, pour créer un objet artistique extrêmement harmonieux et toujours au service du texte de Claudel.

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©Elisa Haberer – Opéra national de Paris
Une distribution vocale parfaite

Quant à la distribution vocale, elle est parfaite. Les chanteurs ont l’âge et le caractère des rôles. Ah, l’élégance juvénile et stylée de Julien Dran, l’ambiguïté mi-ange mi-démon de Max-Emmanuel Cencic, le soprano virevoltant de Vannina Santoni ou encore le mezzo-soprano « qui emporte tout » de Eve-Maud Hubeaux !

Alors, oui, six heures, c’est long, mais bien découpées par deux entractes, elles permettent à cette belle création artistique et collaborative de se déployer en lui laissant la place nécessaire. Après ces mois où nous avons dû « prendre notre mal en patience », ce Soulier de satin de Marc-André Dalbavie vient nous dire doucement à l’oreille que notre société tournait peut-être un peu trop vite avant…

Julien Dran et Vannina Santoni

LE SOULIER DE SATIN
Musique : Marc-André Dalbavie
Livret : Raphaèle Fleury
Mise en scène : Stanislas Nordey
Création mondiale
Palais Garnier
Prochaines représentations les 29 mai, 5 juin et 13 juin

Disponible à partir du 13 juin en accès libre et gratuit sur L’Opéra chez soi et sur medici.tv pour une période de 48 heures, puis en accès réservé à ses abonnés. Diffusion sur France Musique le 19 juin à 20 heures

Plus d’informations sur le site de l’Opéra de Paris

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