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« Walden » à Noirlac ou comment le patrimoine devient musique

COMPTE-RENDU – Expérience sonore, « Walden » de Loïc Guénin a transcendé les vieilles pierres de l’Abbaye de Noirlac, lors de journée du Patrimoine.

Musique et patrimoine font bon ménage. Nombreux sont les concerts qui permettent de découvrir ou redécouvrir un château ou une abbaye (voir notre reportage à l’Abbaye du Thoronet). Ecrire de la musique POUR de tels lieux : telle est l’idée qui sous-tend « Walden, un éco(ute) système sonore », expérience musicale proposée par le compositeur Loïc Guénin. Donné au printemps à la Cité radieuse de le Corbusier à Marseille, le projet se confrontait cette fois à l’Abbaye de Noirlac (Cher) à l’occasion des Journées du Patrimoine.

accueil-SItePour comprendre « Walden », il faut rencontrer Loïc Guénin, né en 1976, dans le Berry, où il a grandi. La ferme familiale, « La Chaume » pour les intimes, n’est pas banale : on y trait les vaches en écoutant France Musique ! Impossible de savoir si le goût du lait a des accents baroques mais il est évident que cet univers entre art et nature a influencé le jeune créateur. « Mes parents ont fait le fameux retour à la nature des années 1970. J’ai grandi avec les bals folk, le four à pain, tous les clichés des babas ! Le renouveau baroque a amené l’opéra dans l’étable. Je collais les étiquettes sur les pots de yaourt en écoutant le « Jardin des critiques » ! »

Dans ce drôle d’environnement, la question de la place de l’homme dans son éco-système était essentielle : « Cela m’a donné des clefs d’écoute, poursuit Loïc Guénin. Se balader en famille voulait dire prendre le temps de reconnaître le chant d’un oiseau, d’écouter le ruisseau, d’identifier tel insecte. J’ai compris bien plus tard l’influence de cette vision du monde sur moi, le seul de ma fratrie à ne pas vivre autour de la ferme.

Cage,le bruit, la musique
Après des études en musicologie, une spécialité en baroque, il se tourne vers le jazz et la musique contemporaine. Il découvre Mauricio Kagel, George Auric, le théâtre musical, Earle Brown et la partition graphique, et surtout… John Cage ! « Avec Cage je comprends tout. » Dans ce « tout » se retrouvent l’idée que tout bruit est potentiellement musique, mais aussi « le bouddhisme et la pensée de Henry David Thoreau ». Ce philosophe américain, père de l’écologie citoyenne et de la désobéissance civile, raconte dans son livre « Walden ou la vie des bois » deux années passées dans une cabane, à l’écoute de la nature. « Ce n’est pas une posture, un fantasme de se couper du monde, car Thoreau avait de la visite !, raconte Loïc Guénin, mais l’idée est de se placer en dehors du village, de la société, pour avoir un autre regard. »

wal_noirlac-3WEBInstaller la musique dans un lieu n’est pas un acte anodin. Loic Guénin se rappelle avoir entendu l’opus 100 de Schubert à l’Abbaye de Noirlac, située à une heure de la ferme familiale. Dans sa mémoire, cette musique s’associera toujours à ce lieu. Il semblait naturel que ce soit cette abbaye qu’il ait envie de faire entendre. Ça tombe bien : « Centre Culturel de Rencontres », Noirlac a pour mission d’associer patrimoine et création artistique. Le directeur du Centre a confié les clefs à Loïc Guénin pour qu’il s’imprègne des lieux, capte des sons qui seront utilisés lors du concert. Le produit de ses moments de résidence est une série de cinq partitions graphiques, esthétiquement très belles, évoquant les les formes cisterciennes, la lumière de l’abbaye, ses arbres centenaires, etc.

Ce 19 septembre, avant de les conduire au lieu où sera donné « Walden », Loïc Guénin accueille les visiteurs de l’abbaye, leur fait écouter les sons du lieu. « Nous développons une écoute fonctionnelle pour trier les sons de la ville (portable, gare, etc.). L’idée ici est simplement de prendre le temps d’écouter. » On fait silence, on éloigne un enfant trop bruyant, on entend les oiseaux, le vent contre la pierre, la rivière qui s’écoule au fond du terrain à l’unisson avec les voitures qui défilent sur la départementale. Puis l’on monte sous les toits magnifiques de l’abbaye pour retrouver les musiciens de l’ensemble Ars Nova, experts dans l’interprétation de la musique contemporaine. Sur leur pupitre, les partitions graphiques : les planches permettent aux musiciens de se promener dans les lieux et de jouer « Walden », pièce en cinq mouvements.

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Balade dans la partition graphique
Devant ces drôles de partitions, on se demande ce qu’en font les interprètes.Loïc Guénin est, il est vrai, un compositeur un peu particulier : ses partitions, si elle devait être jouées en son absence, ne produiraient absolument pas la même musique. Ce qu’il a fait entendre à Noirlac est le produit d’un travail de co-création avec les instrumentistes. Pendant les temps de résidence, Loïc Guénin les a aiguillés vers tel ou tel son. Une fois tout le monde d’accord, les interprètes ont au moment du concert une part de liberté.

La soprano Géraldine Keller, qui a offert une très belle prestation, nous explique : « En suivant cette partition, je ne fais pas un autre travail qu’avec une partition plus classique. A chaque fois il s’agit de codes et de sons associés à ces codes. Ici je vais suivre une ligne, représentée par un trait dessiné. Les autres musiciens auront eux aussi leur ligne, comme chacun a sa portée. La plupart du temps, je peux me balader à mon rythme dans cette partition. Je vais passer dans une pièce, par une porte d’une certaine couleur associée au préalable à… une couleur musicale. Parfois je retrouve les autres instrumentistes, à un moment défini. »

Dans la première planche, on entend le son des oiseaux (une bande diffusée par Loïc Guénin depuis une table de mixage) se fondre avec ceux de la harpe. Plus tard, des mots évoqués par le lieu sont chantés, lancés ou scandés par la chanteuse, sur un tapis atonal tissé par la flute et l’alto. Les musiciens ne miment pas les lieux mais l’évoquent avec leurs instruments. Leur proposition musicale est en harmonie avec la couleur de la pierre blanche, le quadrillage des vitraux. De manière mystérieuse, le public semble se retrouver dans cette proposition : ils viennent nombreux évoquer à la fois les lieux et la musique, observer les planches et parler des sensations que les sons ont provoqué en eux.

On pourrait le dire brutalement : « Walden » est d’une efficacité surprenante (dans la mesure où l’on peut parler d’efficacité dans l’art).  L’abbaye cistercienne est un lieu étrange, où les règles de vie sont étranges à nos yeux, ceux des hommes du XXIe siècle. L’objet même d’un tel lieu – la vie spirituelle, la prière – nous est étrange. La musique contemporaine, dans son étrangeté – par définition, il est difficile de prévoir quel son suivra – y est en harmonie. Cette double étrangeté donnait ce jour-là du sens.

Le 19 septembre à l’Abbaye de Noirlac.
Ars Nova Ensemble, dir. Philippe Nahon
Alain Tresallet : Alto / Aïda Aragoneses : Harpe / Pierre-Simon Chevry : Flûte / Géraldine Keller : Voix et Loïc Guénin, composition, bande sonore temps réel.

Le 9 octobre // En direct de Royaumont, Loïc Guénin sera l’invité de Denisa Kerschova pour son émission « Le passage de midi » sur France Musique. Prochains « Walden : le 13 novembre 2015 à la Maison du Comédien à Alloue (16) et à Royaumont le 16 octobre 2016.

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1 COMMENTAIRE

  1. […] La nature est souvent source d’inspiration pour Loïc Guénin et c’est la figure de la toile (« a web ») qui l’a fasciné : celle de la fibre de la peau, de la feuille (« a limb ») et même de la mer. « On retrouve cette texture au fond de l’océan, explique-t-il, dans ce qu’on appelle les tranchées, ces zones non explorées par l’humain. » Pour plonger le public dans le « noir unique » de ces tranchées, Loïc Guénin fait descendre les spectateurs sur le plateau de l’Arsenal de Metz, dans le noir évidemment. Alors que la musique n’a pas commencé, l’expérience est déjà là, à tâtons, les sens grands ouverts. Cette entrée en matière était déjà ce qui nous avait séduit chez Loïc Guénin dans son projet « Walden » (voir notre article ici). […]

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