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Diego Navarro : « Dans le cinéma actuel, il y a une tendance à reléguer la musique à l’arrière-plan »

INTERVIEW – Diego Navarro est un compositeur majeur du cinéma espagnol. Il signe la bande originale de Dos, thriller psychologique disponible vendredi 10 décembre, sur la plateforme Netflix. Celui qui est aussi chef d’orchestre nous explique la singularité de son métier.

De quoi parle le film Dos, dont vous signez la musique originale ?

Diego Navarro : Dos est un thriller psychologique osé et au sujet courageux, avec un scénario absolument fascinant. L’idée de départ du film est celle-ci : un homme et une femme qui ne se connaissent pas, se réveillent nus dans une chambre et découvrent qu’ils sont liés l’un à l’autre par leurs abdomens.

J’ai été honoré lorsque Mar Targarona (la réalisatrice du film, NDLR) m’a approché pour en écrire la musique : c’est une histoire qu’elle gardait sous le coude depuis des années et se lancer dans un tel projet n’a pas été chose aisée. C’est notre seconde collaboration, après Le Photographe de Mauthausen (2018, disponible également sur Netflix). Travailler avec elle est un pur bonheur. Chose rarissime : elle m’a laissé choisir les moments où mettre la musique dans le film sans presque rien modifier. Elle a toute confiance dans son compositeur et respecte absolument le travail musical.

Le concept de votre musique pour ce film Dos est vraiment original : pouvez-nous en expliquer l’idée ?

J’ai d’abord lu le scénario et ensuite beaucoup analysé le film. Rien n’est gratuit dans cette histoire, tout repose sur l’idée du duo et du chiffre 2 : il y a deux personnages, tout se déroule dans seulement deux pièces, avec deux tableaux de Goya au mur, deux tables de nuits, deux lampes… A partir de là, j’ai eu l’idée d’écrire une partition qui allait également tourner autour du chiffre 2 et à ces relations mathématiques.

Tout est écrit pour deux instruments : un violoncelle (qui représente le personnage féminin) et un marimba (le personnage masculin), les intervalles sont exclusivement des quartes (multiples de 2), la mesure est à 2/4, c’est écrit en ré mineur (la seconde tonalité en mineur)… De cette idée purement mathématique et logique vis à vis du film est née une musique que je pense émouvante et évocatrice, qui ne laisse pas transparaitre cette construction intellectuelle.

La première partie est plus angoissante, atonale parfois, et tourne autour de ce mystère qui entoure la présence de ces deux personnages qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ensuite, vient une musique plus mystérieuse qui décrit l’enquête qui doit les amener à comprendre ce qu’ils font là, attachés l’un à l’autre. Et enfin la dernière partie de la musique, plus mystique, mais ça il faut voir le film pour comprendre !

Aujourd’hui, beaucoup de programmes sur les ordinateurs font croire à certains qu’ils sont compositeurs parce qu’ils savent s’amuser avec ces logiciels. C’est faux.

© DR
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Le grand public a du mal à imaginer le travail qu’il faut fournir pour produire une musique de film. Quelles en sont les grandes étapes ?

Tout part du scénario, qu’on me soumet toujours avant le tournage. J’aime beaucoup aller sur le tournage, mais cette fois, c’était impossible. A la lecture du scénario, les premiers thèmes musicaux me viennent. Ensuite, je reçois un premier montage du film et on commence les réunions avec le réalisateur : j’ai besoin de connaître sa vision, ce qu’il ou elle recherche.

Après, il y a l’étape du spotting (repérage) où l’on décide des moments précis du film qui doivent être mis en musique. Souvent, cette étape est déjà faite lorsqu’on reçoit le premier montage mais ce n’était pas le cas pour Dos. Enfin, le travail de composition à proprement parler débute : dans mon cas, j’écris absolument tout. Je ne travaille pas avec un orchestrateur qui viendrait prendre la suite de mon travail de composition thématique, je fais absolument tout « à l’ancienne » ! Le travail d’orchestration est primordial : je n’arrive pas à déléguer cela, c’est une étape trop personnelle dans la composition pour pouvoir la laisser à un autre.

Et donc, j’écris scène après scène et j’envoie des maquettes au réalisateur. Vient à ce moment-là l’étape de l’enregistrement avec l’orchestre, que je dirige toujours, puis le travail de mixage de la musique elle-même. A ce stade, le montage du film est en cours et il arrive assez souvent que le réalisateur ait changé d’avis sur telle ou telle scène où il y a de la musique. Il faut donc adapter l’enregistrement à ce nouveau montage, parfois couper. Je demande toujours à la production d’attendre le mixage audio final de la musique pour superviser le mélange optimal. Cela explique que la bande originale qui sort au disque est parfois plus longue que la musique présente dans le film.

Enfin, une fois que nous sommes d’accord sur la place précise de la musique, le montage et le mixage final du film ont lieu, et tous les éléments sonores sont ajoutés : musique, dialogues et bruitages.

Le travail d’orchestration est primordial : je n’arrive pas à déléguer cela, c’est une étape trop personnelle dans la composition

Pensez-vous votre musique en fonction des dialogues et des bruitages du film ? Par exemple, une orchestration plus riche, cuivrée et percussive est-elle souhaitable pour des scènes d’action et de guerre, où il y a forcément beaucoup de bruitages ?

Mon travail est sur l’émotion d’une scène, sa force. Les bruitages, les dialogues, tout ceci fait partie du film et je sais d’avance que je devrai faire avec, mais je ne pense pas à cela en écrivant sinon, en effet, le risque est d’écrire en fonction de ça et non pas en fonction du scénario, de l’émotion que la musique doit apporter à une scène. C’est aussi pour cela que je suis toujours présent aux séances de mixage du film, pendant lesquelles le compositeur que je suis souffre énormément (rires).

Dans le cinéma actuel, il y a malheureusement une tendance à mettre la musique complètement derrière les effets sonores, à la reléguer à l’arrière plan. C’est une énorme erreur, car l’émotion vient de la musique et pas des explosions et des bruits d’armes à feu. J’essaye toujours de trouver un équilibre entre tous ces éléments, pour que tout se marie sans se faire concurrence : ces éléments doivent faire partie de manière intelligente du son du film.

Ce qui est terrible, c‘est lorsque qu’un réalisateur utilise des chansons pop/rock : celles–ci sont toujours placées au premier plan alors que la musique symphonique est souvent mixée pour qu’on l’entende le moins possible.

Vous êtes chef d’orchestre, spécialisé dans la musique de film. Vous êtes aussi le directeur du festival de musique de film Fimucité, à Tenerife. Comment analysez-vous l’expérience de la musique de film au concert, sans les images pour lesquelles elle a été écrite au départ ?

© Aarón S. Ramos

La bonne musique de film, en général, a un potentiel narratif en elle-même. On dit souvent du compositeur de musique à l’image qu’il est un cinéaste musical et la musique de film s’écoute donc pour elle-même, lorsqu’elle est bien écrite. Du point de vue du public, le caractère narratif de ces partitions lui procure un énorme potentiel en concert. L’un des compliments les plus forts que j’ai pu recevoir d’un spectateur est le suivant : « désormais, grâce à ces concerts, non seulement je regarde un film mais je l’écoute ». Et au delà de tout, le pouvoir de cette musique permet d’amener les plus jeunes vers l’orchestre et la musique symphonique.

La jeune génération est obnubilée par les écrans, sollicitée en permanence par eux. Ces concerts permettent de leur donner l’occasion de faire une pause et d’écouter simplement, tranquillement une musique qui peut vivre sans écran. Voilà le pouvoir du concert : développer l’imagination de cette génération.

Dans le cinéma actuel, il y a une tendance à mettre la musique complètement derrière les effets sonores. C’est une énorme erreur car l’émotion vient de la musique et pas des explosions et des bruits d’armes à feu.

Quels sont vos compositeurs de musique de film favoris ?

Question si difficile. J’ai dans mon ADN du John Williams, du Ennio Morricone, du Jerry Goldsmith… Il y en a tellement !

Quels seraient vos conseils à un jeune compositeur qui voudrait se lancer dans la musique de film ?

Étudier énormément les bases de la musique, l’harmonie, l’écriture. Bien sûr, il existe des formations spécifiques pour la musique à l’image, mais rien ne remplace la formation solide au conservatoire. La formation spécifique se justifie, mais rien sans le travail classique de fond.

Aussi être patient et humble. Aujourd’hui, beaucoup de programmes sur les ordinateurs font croire à certains qu’ils sont compositeurs parce qu’ils savent s’amuser avec ces logiciels. C’est faux. Il faut vraiment maitriser le langage musical, avoir des bases solides pour pouvoir ensuite développer vraiment un style propre.

Dos, de Mar Targarona. Avec Marina Gatell, Pablo Derqui, Kandido Uranga. Thriller (1h10).

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